L’intelligence artificielle générale ou non, la robotisation sous forme logicielle ou anthropomorphique, la technologie au travail ou à la maison, et ce, dans le professionnel comme dans le privé. Voilà pourquoi mettre de l’humain dans l’entreprise où au centre de l’organisation sociale devient une injonction. Tant de questionnement dans un état des lieux de nos sociétés contemporaines peut laisser perplexe. Nous convoquons les problématiques existentielles pour les états, les institutions, les personnes elles-mêmes, mais au bout du compte sommes-nous réellement sincères dans nos questionnements ?
Prenons le monde du travail, il semblerait que l’usage de la technologie déshumanise, voire désincarne, par le choix distanciel plutôt que présentiel. L’évolution technologique dérange et fait peur. Que l’unique intérêt d’une entreprise soit la productivité questionne moins que le bien-être des employés à s’y asservir. Cela ne choque précisément personne, puisque ce qui est recherché est le gagnant/gagnant (employé/entreprise), je donne, tu me donnes. Que des états se fassent la guerre au nom d’intérêt qui dépassent largement le cadre de celui des peuples interpelle-t-il ? On se le demande, parce que cela ne fait que remplir les plateaux télé d’émotion, de contrition, de jugement, et de vague raisons orientées par une pensée unique, mais inavouée, celle de l’économie. Jamais nous ne trouvons d’expression de conscience sincère, de celles et ceux qui pourraient mettre le doigt là où ça fait mal, parce que les gouvernants et les parlementaires sont là pour trouver des solutions, parait-il. Alors où est le problème ?
Que cela soit la technologie, la politique, l’entreprise, le domaine du privé ou du professionnel, un seul postulat n’est jamais remis en question : le rôle de l’argent. Bien sûr, les rapports de tous ces domaines d’activité avec lui sont constamment auscultés, analysés, jugés, mais jamais l’argent n’est pensé dans son existence même, car cela semblerait totalement inapproprié, pour ne pas dire archaïque. Revenons au monde de l’entreprise, voire plus généralement au monde du travail, ce qui est plus simple, mais dont le principe discutable est largement applicable à tous les domaines d’activité. Dans le monde du travail, ce n’est pas la technologie qui pose un problème à l’humain, c’est le principe d’une grille de salaire hiérarchique qui donne sens à l’argent. Par ce sens partagé, l’argent permet toutes les mauvaises façons de faire, du projet managérial aux objectifs des employés. Tous les humains doivent-ils laisser leur humanité chez eux et n’êtres que des compétences désincarnées ou bien va-t-on un jour associer l’acte et la manière de faire, c’est-à-dire introduire l’humanité dans toute entreprise ?
Tant que l’on ne voudra pas affronter la réalité sous-jacente à cette problématique de sens, nous resterons toujours dans la projection de ce que l’on n’est pas : un humain versus une fonction. Pourquoi en sommes-nous là aujourd’hui ? Pour une seule raison, le dévoiement de la définition du présent, le présent du temps. L’adage « le temps, c’est de l’argent » est simplement une réalité. Quand une personne définit le présent comme le moment où elle parle, elle ne définit qu’une conscience en particulier et non un humain en général, parce que pour définir une action, il faut bien avoir une conscience particulière. Maintenant, si nous récompensons la compétence par l’argent, où mettons-nous alors l’humain ? La réponse vient d’elle-même, dans la personne qui porte la compétence que l’on récompense. Pourquoi alors s’offusquer lorsque la technologie remplace l’humain puisque celle-ci ne demandera pas un management humain, une augmentation de salaire ou un congé.
L’argent compenserait-il toute humanité au nom de la productivité ? Vouloir associer l’argent à la seule productivité, voilà qui déshumanise. Mais, d’une façon générale, vouloir associer l’économie à la psychologie, voilà la grande erreur, ou bien, devrions-nous dire, la grande manipulation. Le grand ressort du monde du travail est la psychologie et non la compétence. C’est aujourd’hui un constat, la technologie va prendre le pas sur le tertiaire par l’intelligence artificielle et la robotisation pour le travail manuel, pour quelle raison ? La productivité, pourquoi ? Pour faire plus d’argent. L’économie financière oblige à l’évacuation de la psychologie dans la chaine de production, alors l’humain n’a plus sa place, car l’humain est une psychologie en acte de compétence. Alors, que faut-il faire ? Repenser le rôle de l’argent, produit final de la productivité, à la place du bien manufacturé qui n’en est que le prétexte.
Vouloir remettre de l’humain dans l’entreprise est un leurre, ou une simple accommodation, si l’argent n’est pas repensé dans son rôle sociétal. Aujourd’hui, de moyen, l’argent est devenu une fin en soi et la technologie ne décharge plus l’humain, mais le débarque en toute illégitimité. Le rôle des entreprises, quelque, elles soient, est de fédérer des talents (compétences) autour d’un projet, dont l’argument phare devrait être l’amélioration d’un bien commun plutôt que la production d’un bien consommable. Révolutionner le rôle de l’argent, c’est avant tout le déconnecter de la production, pour réhabiliter le transfert de talent au service d’un projet humanisant. Attribuer l’argent dans l’unique rôle d’un financement dans l’infrastructure d’un projet, c’est restaurer un rôle d’anticipation de la venue d’un nouvel attribut servant le bien commun. Enfin, l’argent ne doit plus être un bien. En revanche, un avantage octroyé par une société soucieuse de l’évolution d’un bien commun, et non un outil privatisé par un cartel privé, dont la propriété et l’usage échappe à tout contrôle démocratique.
On le voit, remettre l’humain au centre de la vie sociale comme de l’entreprise n’est pas à la portée d’une demi-mesure, mais appelle à révolutionner le rôle de l’argent dans nos sociétés. Le courage et la sincérité sont autant de valeurs nécessaires à cette inflexion sociétale, est-ce réalisable ? C’est à chacun de prendre position, le reste ne sera qu’affaire de temps.