Pour dire les choses comme elles sont, le soi intégral constitue la conscience personnelle de l’identité, elle-même représentative d’une conscience individuelle potentiellement universelle. Développer cette réflexion va nous demander d’introduire une idée proposée par le logicien Kurt Gödel en 1949, qui apporte une solution aux équations de la relativité d’Einstein sous la forme d’un Univers en rotation. Cette idée est fortement déstabilisante, car il faut la sortir du domaine de la physique pour en comprendre véritablement les termes. La première des interrogations que pose un Univers en rotation est de savoir dans quoi le comportement de celui-ci peut se manifester ? En l’état, du point de vue de la physique cosmologique actuelle, nous ne pouvons apporter de réponse. Ce qui induit le fait que cette idée soit incorrecte sur le plan cosmologique, parce qu’il est impossible d’en penser une réponse. L’impensable n’est pas dans le domaine de compétence d’une physique, car il nécessite de pouvoir relier ensemble des domaines de la connaissance issus de différents secteurs de l’expérience. Nous sommes donc ici aux limites imposées par la catégorisation scientifique, par les formes respectives qui font les disciplines du savoir, séparées par des frontières étanches. L’impensable revient aux différents domaines de l’expérience en général, ce qui permet d’utiliser l’analogie entres ceux-ci pour découvrir les champs nouveaux de la connaissance.
Acceptons l’idée d’un Univers en rotation, celui-ci étant la représentation du tout. Comment concevoir alors un lieu dans lequel un comportement du tout puisse exister ? En premier, il nous faut revenir à la conscience sans forme, cette conscience native que l’on escamote volontiers par l’impossibilité de se la représenter. Et pourtant elle existe consciemment pour chacun d’entre nous, et son expérience est récurrente puisque nous la vivons chaque jour par l’instant de l’éveil au sortir d’un sommeil. Pour la majorité des personnes, cet instant n’existe pas à leurs yeux, car le réveil est simplement un sommeil qui se rompt, naturellement ou accidentellement, pour devenir un état de veille. Il s’agit ici juste d’un manque d’attention; la phase de réveil est une phase d’éveil qui ne doit rien à l’esprit ni à l’activité du corps physique, mais à la seule activité consciente dont le support existentiel est l’impensable milieu dans lequel l’Univers est en rotation. Développons tout cela.
Nous qualifions l’Univers par l’ensemble des objets visibles ou invisibles que nous y observons. Tout en sachant que ce que l’on découvre au sein de celui-ci se fait au travers de critères de recherche qui stipulent que ce que l’on trouve, n’est que le résultat escompté de ce que l’on s’attend à découvrir. En effet, l’observation n’est qu’une validation d’une représentation énoncée par une théorisation d’un domaine de données, et non une découverte au sens propre du terme. Même s’il nous arrive parfois de découvrir quelque chose que l’on ne cherchait pas, ce qui est l’objet d’une sérendipité. Cette sérendipité n’est juste que le mécanisme d’une cohérence qui se révèle entre ce qui est connu, mais mis de côté, et ce qui se manifeste naturellement au travers des conséquences d’un comportement envers un tout autre sujet. Nous parlerons alors de découverte par hasard.
Nous constatons que nous pouvons qualifier l’impensable d’un milieu dans lequel l’Univers manifesterait un comportement de rotation en établissant une analogie avec le milieu dans lequel une existence devient personnellement réelle par l’éveil conscient. Un Univers est un composé d’éléments que l’on connait et que l’on escompte en théorie, une existence que l’on confronte par l’observation grâce à des instruments expérimentaux. Mais ne fait-on pas de même par notre expérience consciente de l’éveil au sortir d’un sommeil ? Le court instant où l’éveil conscient se produit renvoie à l’impossibilité de connaître qui nous sommes et où nous sommes, jusqu’à ce que l’esprit organise la cohérence de nos sens. Celle-ci établit alors en nous une conscience de l’existence de notre corps physique, de la situation spatiale où nous sommes et du placement dans le temps de notre expérience d’un présent. Ce qui peut paraître choquant à notre endroit est le fait que nous soyons dépendant d’un impensable, d’une conscience sans forme manifestée, et que le sentiment personnel de vivre ne dépend pas d’un contexte volontaire, mais d’un fonctionnement autrement plus grand que soi. Cela oblige notre esprit à considérer l’ensemble du savoir de ce que nous sommes comme un contexte relatif qui conditionne notre existence. C’est à ce constat que nous attachons la plus grande importance pour notre existence vivante, au travers de la manifestation de notre corps dans une réalité que nous pouvons maîtriser ou contrôler par nos fonctions.
Mais cet état de veille de nous-même à un prix: celui de conférer aux représentations mentales de notre existence un statut de réalité permanente, si l’on ne veut pas perdre l’ensemble des repères qui nous font savoir qui nous sommes et ce que nous faisons de notre vie. Cette vie individuelle contextualisée est la représentation de ce que nous sommes à chaque instant, mais comporte l’inconvénient majeur d’être relatif. Ce qui, sans une conscience existentielle, accentue avec le temps la nécessité impérieuse de toujours renforcer les conditions d’une situation stable de sa vie. Ce que la conscience existentielle délivre, ce sont les capacités de réaliser la totale intégrité de soi, qui passe par l’acceptation consciente d’une autonomie complète de l’être humain. Celui-ci devient alors le contexte d’une relativité absolue, soi-même, par les différentes fonctions qu’un fonctionnement humain incarne. Ou matérialise, si nous restons dans une interprétation matérialiste de la vie. La conscience personnelle devient ainsi l’interface directe entre la vie humaine dans un monde physique, au travers des comportements, et la vie humaine dans un monde métaphysique, au travers des actions, dont la frontière entre ces deux mondes est totalement artificielle. Cette mobilité est due à l’utilisation des instruments de la pensée dans l’établissement des prises de conscience qui donnent une dynamique à l’ensemble.
Être humain, c’est être personnellement conscient de son existence dans un milieu de conscience sans forme qui est, rappelons-le, la seule conscience commune native. L’introduction d’une finalité pour la destinée humaine n’entraîne en rien la perte du libre-arbitre individuel, mais lui donne une raison d’exister : celle de satisfaire à la réalisation personnelle d’un soi intégral, seul à même de donner à la conscience personnelle la forme d’une identité potentiellement universelle au travers d’une évolution individuelle. Mais attention, il ne s’agit pas de négliger le monde physique dans lequel une réalité commune est le résultat des connaissances de chacun. Mais de comprendre que toute participation effective au monde, sur le plan personnel, doit résulter d’une action de transformation apportée dans ce monde et dont la seule pertinence est dévolue à la transformation préalable de soi-même. Ce résultat individuel devient la nouvelle valeur apportée à l’évolution du monde commun. Être humain représente personnellement une attitude individuelle d’être hors du monde, et dans le monde, de façon asynchrone. Pour que la relation entre une personne et son environnement relève d’une nature de rapport gagnant/gagnant.
Dans un souci d’approfondissement des principes de réalité, si nous avons l’Univers physique en rotation dans un milieu impensable, alors cela peut correspondre analogiquement à l’expérience de l’éveil dans une inconscience de l’esprit. Cette conscience sans forme correspondant à la nature d’une réalité augmentée. Ceci permet au soi intégral d’avoir un milieu, dont la connaissance ne peut se faire qu’en intégrant la totalité des phénomènes naturels connus du genre humain. Par les rapports physiques de l’humain, un être intègre un soi individuel correspondant à la réalité d’un cerveau fonctionnel qui interprète le corps humain natif comme une identité potentiellement universelle de soi. C’est ainsi que, sous la forme humaine, l’être se donne une âme individuelle équivalente à un principe actif de conscience de soi. Cette conscience de soi est apte à la reconnaissance de l’impensable d’une conscience native, puisqu’elle acquiert sa forme d’une naissance d’elle-même qui se fait au détriment de la conscience sans forme. Si donc une âme s’inscrit en creux d’un fonctionnement personnel, alors le comportement d’attention dans la vie individuelle correspond à un soi naissant dans la conscience sans forme, ce qui donne bien une identité correspondante à une âme universelle. Le principe de connaissance personnelle dérive bien d’une identité de soi s’ouvrant à la connaissance d’un nouveau milieu issu d’une perception d’une conscience universelle. C’est une lumière dans l’obscurité de l’inconscience de l’esprit, d’où son éveil à la connaissance des nouvelles réalités du monde.
En conséquence d’une pré-existence d’un milieu impensable par l’esprit, ce n’est plus une âme individuelle mais un soi majeur que va incarner une conscience personnelle se constituant. Ce soi majeur devient le principe de connaissance d’une identité humaine qui peut, dès lors, se nourrir des relations avec le milieu d’une conscience commune qu’il va s’efforcer de penser. Nous pouvons dès à présent faire la distinction entre les critères liés au mouvement et ceux liés à l’énergie au sein du monde physique. Là où s’arrête le mouvement commence l’énergie, ce qui fait référence au pouvoir discriminant de l’esprit dans ses prises de conscience. Tant que le niveau de conscience est dans une approche fonctionnelle, nous restons dans une conscience analogique, puisque nous décrivons un phénomène en comparant ses propriétés à d’autres phénomènes. Nous sommes bien dans le relatif. Et le parfait exemple est donné par l’acte de mesure. Si le niveau de conscience permet une approche structurelle, alors nous sommes dans une conscience numérique, puisque le rapport aux phénomènes naturels dépend des quantités d’énergie correspondantes à leurs degrés d’information. Ce qu’une conscience peut intégrer dans une unité de temps permet de comprendre pourquoi, dans la notion d’interprétation d’un phénomène, le contraire d’une représentation est l’oubli.
La représentation se manifeste soit par un comportement, et nous sommes dans le domaine du mouvement, soit par l’état, et nous sommes dans le domaine de l’énergie. Pour le mouvement, la transformation est synonyme d’espace d’évolution comportementale (sa dissolution). Pour l’énergie, la transformation est synonyme de temps d’évolution de sa quantité (sa conservation). Si la représentation est le contraire de l’oubli, alors celle-ci est synonyme de conscience quand l’oubli est synonyme d’inconscience. Ainsi, les deux ressortent d’un même domaine : la mémoire existentielle de ce qui est. Par le processus de prises de conscience de l’esprit, le fonctionnement humain est donc synonyme d’un fonctionnement d’une mémoire existentielle de ce qui est, ce qui relève d’un processus historique, et en fait la réalité du temps et de l’espace par l’existence de la notion d’événement. C’est ainsi que la vie de l’esprit passe au travers de l’expérience de la connaissance de soi, apportée par l’éveil de l’esprit envers ses conditions natives. Nous pouvons ainsi affirmer que ce ne sont pas les expériences qui sont porteuses de sens, mais le choix même de ces expériences pour une conscience personnelle. Car elles ne peuvent, en effet, être déterminantes que sous la forme de condition de sens pour l’esprit. Ceci grâce à l’apport d’une finalité consciente à pouvoir délivrer le sens d’une vie individuelle.