Nonobstant l’ensemble des savoirs que nous avons sur les phénomènes, la première réalité dont chacun de nous est involontairement conscient est la perception que quelque chose soit là, à notre endroit. Cette première constatation relève du premier acte conscient de notre éveil à la quotidienneté. Mais si par cet acte involontaire nous percevons une réalité de nous-mêmes, c’est parce que quelque chose met en acte cette perception. Ce qui entre alors en scène n’est alors rien d’autre que les résultats d’activités de nos organes sensoriels d’intéroception et d’extéroception. Ce qui bouscule ainsi nos sens n’est pas la cause de notre existence, mais la cause d’un mouvement de notre existence, faisant de celle-ci les moyens naturels de l’existence de ceux-ci (les sens). Comment se présente alors la conscience de nous-mêmes, si ce n’est par le glissement temporel de chaque activité de nos sens, dont la sommation n’est qu’une possibilité induite par ce qui conditionne la réalité de leurs existences ? Mais alors d’où vient cette réalité ? De la transposition consciente d’une information de soi portée par autrui, et dont les réalités, communes à l’espèce, représentent la somme des conditions de notre propre réalité humaine.
S’il en est ainsi pour toute humanité individuelle, pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour toute réalité vivante ? Inanimée ? Immatérielle ? Physique et Métaphysique ? Spirituelle ? Cela signifie que chacun de nous doit son existence à autre que soi-même, par la transposition d’informations que chacun partage pour tous. Mais cela contient-il en soi des limites, ou au contraire cela est-il infini ? La réponse est dans le potentiel de conscience, plus particulièrement dans la nature de cette conscience. Ce qui vient à nous lors de l’éveil conscient, médié par les sens, n’est pas autre ou nous-mêmes, mais le déséquilibre naissant de l’interaction des deux. Ainsi ce que nous croyons devoir à la vie, nous le devons en réalité à tout ce qui nous entoure, et tout ce dont nous sommes fait.
Ainsi n’est-il point besoin d’avoir de postulats pour comprendre notre existence, seulement des postulats nécessaires à sa mise en mouvement. Il suffit de considérer le déséquilibre fondamental auquel notre éveil du matin nous confronte. Que nous vaut cette différence portée par les informations involontaires de soi et des autres pour toute chose ? Les données d’un fonctionnement, en l’occurrence pour nous, d’un fonctionnement humain. Nous avons vu que la différenciation informative apportée par nos sens (intérieurs et extérieurs) est la responsabilité d’un différentiel de glissement temporel. Qu’a-t-on voulu exprimer par glissement temporel ? Pour expliquer le plein sens de ce terme et nous rapprocher de la compréhension intime d’un fonctionnement humain, il nous faut approfondir ce qu’est la réalité d’un espace-temps, à l’échelle des possibilités humaines.
En humanologie, nous devons approfondir la notion d’omniscience en la faisant sortir d’une obscure interprétation spirituelle, dans la restauration consciente d’une réalité opératoire d’ordre fonctionnel. L’omniscience est censée être l’incarnation d’un savoir sur tout, dans un ordre universel de toutes les choses abordées par l’esprit. Celle-ci comporte alors la finalité intrinsèque d’une connaissance sur tous, de tout. Redevenons réel et voyons ce que l’humanologie peut faire de ce concept opératoire. Commençons par examiner l’esprit scientifique. Celui-ci présuppose l’existence d’une connaissance du vrai par la démonstration méthodologique d’une réalité universelle. Celle-ci comportant des principes premiers à l’origine de tous les développements logiques dont les conclusions affirment l’existence d’un vrai. Mais soyons exhaustif, ce vrai n’est vrai que relativement aux anciennes certitudes d’un vrai battu en brèche, ce qui fait de la science la pratique d’une éternelle évolution certifiante. Dans la période entre deux états d’un vrai, la certitude obtenue ne sera en réalité qu’une approximation d’un vrai, dont l’horizon d’exactitude reculera sans cesse. Mais ceci semble suffisant pour concevoir une réalité du monde pour lequel une technoscience devienne opératoire.
Cela nous apprend-t-il quelque chose sur nous, ou devons-nous laisser l’esprit scientifique de côté pour plonger vers une plus grande compréhension du mode opératoire humain ? Nous le pouvons, à la seule condition de sortir le vrai du seul domaine scientifique et lui donner la possibilité d’être relatif à soi, et pas seulement aux protocoles opératoires de la démonstration scientifique. Les conditions d’une omniscience ne sont pas seulement l’affaire d’un esprit, mais surtout l’affaire d’une réalité. Celle-ci peut ainsi prendre toutes les formes d’une naissance à l’existence, dès lors qu’elle en assume les critères d’universalité. C’est ainsi que nous pouvons retrouver l’omniscience comme propriété fonctionnelle d’une réalité humaine, à caractère universel.
Ce que nous pouvons faire pour l’omniscience, nous pouvons le faire pour la propriété d’omnipotence. Celle-ci est la démonstration d’une possibilité de présence en tous et pour tous, délivrant en son sein la condition première d’une puissance dont l’acte en est une possibilité de manifestation. Nous entendons bien ici l’omnipotence comme un potentiel et non une réalité, mais dont la remarquable manifestation ne se réalise en acte qu’en produisant une réalité. La puissance étant une immobilité qui n’en est plus une par son potentiel, alors l’omnipotence ne voit sa réalité que dans l’acte qu’un contexte lui permet de réaliser. C’est donc ainsi qu’un présent exerce son pouvoir d’attractivité, puisque de l’absence de manifestation émerge l’acte révélateur d’une omnipotence, par le caractère de puissance d’un potentiel de non-manifestation. Donc toute omniscience voit sa réalité en acte doublée par le présent, dont la puissance équivaut au potentiel d’omnipotence de sa non-manifestation. Clairement, toute chose vient au monde de la conscience, par l’acte de sa naissance dont la puissance d »attractivité de son présent ne dépend que de l’intensité d’attente de sa venue.
Dans ce contexte, que nous dit un fonctionnement humain ? En premier qu’il est propre à l’humain et singulier à la personne. En deuxième, que la nature de ce fonctionnement est totalement relatif au savoir de cette personne, mais que la puissance intrinsèque de ce fonctionnement dépasse largement le contexte du savoir personnel. En effet, il endosse le potentiel d’action dont l’absence de limite de perception augure d’un infini de réalisation. Le temps de réception de l’information d’un contexte ne dépend que d’une capacité personnelle d’ouverture à ce contexte, ce qui fait dépendre le temps de réaction individuelle à la disponibilité de perception au sein d’un environnement universel. Plus la perception sera quantitativement importante, plus le traitement des informations sera rapide car induit par la disponibilité potentielle à la réalisation des actes conscients, ceux-là même qui équilibrent la pression de déséquilibre exercée par le contexte. Le temps devient donc une mesure relative, dont le présent ordonne un passé et un futur, respectivement responsable à leur tour d’une possibilité de choix : incarner une cause ou incarner un effet de la situation présente.
Comment va donc pouvoir s’opérer ce choix ? En fait celui-ci est rendu opératoire par les décisions qui en sont les conditions. Et il se trouve que ces conditions sont de nature actualisante, c’est-à-dire extraites d’une omniscience par une puissance potentielle réalisée en acte. Nous avons donc ainsi la possibilité de voir dans le libre-arbitre l’exercice d’un fonctionnement autonome, dont la manifestation se fait humaine par le lieu de son émergence. C’est ainsi qu’une personne ne représente en fait que la manifestation de l’instantané d’un fonctionnement humain, dont l’attractivité représentée par sa présence en impose sa puissance personnelle. Il s’agit ici de montrer qu’un fonctionnement humain est la représentation explicite d’une dynamique vitale universelle, dont le niveau de puissance dépend d’une qualité personnelle à prendre en compte un intérêt supérieur de soi-même, et dont la propriété principale est le non-attachement aux conditions de son contexte d’apparition. À ce titre, la vertu d’indépendance caractérise une personne apte à vivre ce qu’elle sait d’elle-même et de son environnement. Le pouvoir de connaissance, validé par la qualité d’un fonctionnement humain individué par une conscience, détermine la maîtrise personnelle nécessaire à la révocation de tout inconscient.
Nous ne pouvons nous contenter dans l’approche fonctionnelle initiée par l’humanologie de nous en tenir aux savoirs scientifiques dans tous domaines confondus. L’humain, comme chaque entité fonctionnelle issue des conditions universelles de l’existence, ne peut livrer entièrement ses secrets que dans la stricte intimité de lui-même. C’est ce pourquoi il est relié, par la présence de sa personne au monde, à tout ce que ce monde manifeste. Le fonctionnement humain comporte tout ce qu’un art de subtilités peut présenter à la conscience personnelle, dont la seule vertu est d’être né pour comprendre dans la seule vue d’être. Ainsi se connaître est savoir que, ce qui fait de soi ce que l’on est, est ce qui fait exactement chacun de tout autre phénomène venant à l’existence pour lui-même, si tant est que cela soit possible : reconnaître en soi la même nature de ce par quoi chacun fait pour lui-même. L’unité universelle remplit alors son rôle d’être à la fois le potentiel et la finalité d’une dualité première : un dialogue entre l’espace des choses et le temps des personnes.