Dans le cadre de l’humanologie nous sommes arrivés à comprendre que le temps physique s’exprime sous un ensemble quasiment infini de ligne temporelles, qualifiant ainsi le devenir de chaque phénomène identifiable. Par l’expression de son identité propre, chaque être humain peut être classé comme phénomène. Chacun de nous avons donc une trajectoire temporelle, celle qui nous est propre et qui occupe toute la réflexion d’un devenir individuel. Qualifier chacun de nous d’être une subjectivité incarnée n’est donc pas si étrange que cela, mais pose la question d’une réalité de l’existence d’une objectivité commune. Si chaque phénomène à une ligne temporelle définit par l’expression de sa subjectivité, alors l’environnement de chacun peut être défini comme un chaos composé d’une variété infinie de lignes temporelles diverses. Lors d’une interaction, nous ne faisons qu’observer l’occurrence d’une confrontation entre au moins deux lignes temporelles, c’est ce que nous définissons classiquement comme une interaction duale. Mais la réalité est tout autre.
Pour bien comprendre cette situation, il nous faut opérer une dissociation entre les termes d’homme et d’humain. Aujourd’hui ce que renvoi le terme d’homme, est un sens collectif d’une définition attribuée aux conséquences de l’activité humaine, prise au sens de la sommation des activités de chaque être humain dans un instant « t » sur l’environnement. C’est ainsi que l’homme est vu comme le sens générique de l’ensemble des activités de chacun des êtres humains. En regard de l’homme, correspond ainsi un environnement récipiendaire de la somme d’activités humaines. Cela en définit donc un nouveau phénomène qualifié par son impact sur l’environnement, constituant par là même une nouvelle ligne temporelle par le devenir d’une transformation environnementale. Nous avons donc affaire à une subjectivité à part entière, due au fait de la dynamique interne de l’environnement en devenir. Mais ce qui est cohérent pour un ensemble, l’est-il pour chaque action humaine ? Évidemment non, ce qui nous ramène à l’interface réelle entre un être humain et son environnement, qui devient ici son contexte.
Pour toute qualification d’interface, nous avons compris qu’il s’agit d’une confrontation entre deux lignes temporelles, donc deux subjectivités puisque toutes les deux relèvent d’une stratégie comportementale, l’une consciente et l’autre inconsciente à notre dimension humaine. Cette confrontation devient ainsi la condition d’une recherche d’objectivité, qui ne peut s’obtenir que sous la forme d’une nouvelle subjectivité dont les racines méthodologiques sont triples. Soit une subjectivité l’emporte sur l’autre, ce qui fait que l’une des deux l’emporte sur l’autre, soit une subjectivité moyenne émerge d’une conjonction des deux autres. En définitive, deux subjectivités en interaction, celle de soi et celle de l’environnement, rend toute objectivité illusoire puisque celle-ci va relever d’une illusion de fixité temporelle, ce qui est impossible dans un monde en constant mouvement. Cela est rendu tout aussi impossible dans un monde de relativité à caractère absolu, par la présence de toutes les formes de subjectivité à chaque instant d’un espace en mouvement perpétuel. Sur le plan singulier de l’être humain, que lui reste-t-il comme perception possible d’un réel ? In fine que peut-on connaître personnellement ?
Pour entrouvrir cette porte, il nous faut changer de paradigme concernant les moyens de la connaissance. Ceux-ci ne sont pas directement imputables aux seuls moyens cognitifs, car le corps dans son ensemble et plus particulièrement la conjonction fonctionnelle de l’ensemble biologique de son organisme, est partie prenante par la mise à jour d’un éveil conscient. C’est le passage au comportement instinctif de la respiration d’un air atmosphérique par une attention consciente, relevant du seul comportement psychologique, que nous transformons la gêne physique de soi (la perception de matérialité de notre corps), en conditions de connaissance. Cela a pour conséquence d’ouvrir notre conscience à quelque chose de nouveau en termes de savoirs. Nous verrons plus loin comment la reconnaissance d’une conscience est envisageable à ce stade. Ainsi une connaissance, au sens d’une signification intelligente d’une organisation de comportements, existe au sein de la respiration physiologique. Car cette respiration relève d’un comportement macroscopique, alors que ce qui relève d’un comportement microscopique de notre biologie, se manifeste par des micro-mouvements perceptibles de notre corps.
Si la recherche d’ordre est la condition d’émergence de nos facultés cognitives et elle l’est par la fabrication des informations, alors les comportements individuels n’ont d’autre signification que de participer à une stratégie, dont l’intelligence ne peut se faire jour que par le principe d’ordre d’une mise en conscience. Ce qui devient clair dans l’immobilité macroscopique, c’est que la nécessité vitale perdure autrement que par les comportements du domaine macroscopique. C’est donc qu’il existe une passerelle physiologique entre les comportements macroscopiques et les comportements microscopiques. Cette passerelle est l’incarnation personnelle des fonctions physiologiques, dont la respiration diaphragmatique fait partie. Aucune solution de continuité entre les stratégies comportementales du domaine macroscopique et microscopique. Toutes les deux se combinent dans l’avènement d’une architecture nerveuse, au travers de la plasticité des connexions cérébrales qui rendent compte d’une structure dynamique de ces comportements. Mais ne nous arrêtons pas là.
Il nous faut différencier ce qu’est la forme morphologique, de l’architecture morphologique. La forme définit une silhouette dans l’espace, alors que l’architecture définit une organisation dans cet espace. Mais plus précis encore est la différence entre structure et architecture. Celle-ci se distingue par un projet antérieur dans le temps, qui nécessite l’intégration des différents temps de construction, d’intégration et de fonctionnement des éléments constituants l’assemblage, et qui fait le résultat final d’une architecture. Le terme de structure est lui défini par l’organisation qui est pensée au préalable comme ensemble des matériaux, qui par leurs rapports permettent aux fonctions d’émerger. Si l’on prête à la conscience le rôle de réflecteur des états de soi, alors c’est aux différents contextes représentatifs des différents environnements, d’endosser ce rôle. D’où l’importance de bien définir ce qu’est l’environnement, en regard d’une déclinaison du statut de l’homme à ses actions humaines, pour en définir toutes les étapes de prise de conscience. Comme l’environnement est constitué de différents contextes qui sont propres à chaque action humaine, la notion d’homme ne pourra donc exister que pour l’ensemble des activités humaines. En humanologie, il nous faut temporairement abandonner cette notion, pour mettre en avant celle de l’humain pris individuellement.
En introduisant le concept de fonctionnement humain, nous faisons ainsi référence à la transformation, opérée par le fonctionnement physiologique d’une personne, lors de son attention consciente à la réalité des savoirs qui émergent de l’intérieur des activités de ses fonctions physiologiques. Ces savoirs sont bien des matières conscientisées, qui peuvent donner le sentiment d’être obtenus par la délivrance d’une mémoire antérieure à une réalité vécue dans le présent. Mais nous sommes là aussi face à une illusion, celle de croire dans la dimensionnalité de l’espace par l’expérience de nos sens, ce qui nous fabriquent des dimensions spatiales comme les dimensions géométriques, et des dimensions de temps comme le passé, le présent et le futur. Dans les faits, ces illusions temporaires sont nécessaires à l’avènement des prises de conscience. Mais l’acceptation d’une réalité d’un fonctionnement humain nous montre par ces illusions, une dynamique de connaissance qui nous offre la possibilité d’un regard neuf sur nous-mêmes.
Ce que nous mettons en place par la reconnaissance du fonctionnement humain, c’est que les savoirs obtenus par celui-ci sont les véritables constituants de notre esprit, qui se fait conscience de soi. Ce processus se fait sans autres interventions que la simple attitude induite par les expériences de la vie individuelle. Nous avons donc toujours été nous-mêmes, sauf lorsque nous étions pris en défaut par les exercices d’abus de pouvoir de notre environnement. Alors cela peut-il s’esquiver ? Pour répondre à cette question il nous faut aborder la réalité métaphysique à l’origine des conditions par défaut, de la réalité physique mise en avant depuis nos premiers âges de vie. Cela pose la véritable problématique que nous rencontrons tous aujourd’hui, le problème de l’interprétation historique en regard des seules informations qui nous sont fournies. En introduction à la résolution de ce problème, la simple clairvoyance attribue au génie de chacun la possibilité d’être humain par essence. Ce qui assurément permet l’accession à toutes les informations nécessaires à la compréhension de la réalité, sans être obligé de s’en référer à autrui. Mais là est la solution finalement, car s’abstraire d’autrui en signifie son intégration fonctionnelle. Alors comment est-ce possible ? Par la fabrique d’un corps, semblable en principe, à l’ensemble de son environnement. Et si cela est inscrit dans notre nature, alors il nous faut dépasser le cap de l’espèce et nous ouvrir aux conditions d’existence dont le génome en assure la transmission.