Le bonheur individuel est-il authentique ?

Si chacun veut être honnête sur la question d’un but à sa vie, à condition d’avoir un minimum de conscience, c’est de tout mettre en œuvre pour vivre un bonheur authentique. Mais cette recherche ne va pas de soi, il faut déjà pouvoir en convoquer les conditions, ce qui en fonction des situations personnelles peut apparaître difficile. La recherche d’un bonheur authentique ne peut faire l’impasse sur une démarche individuelle qualifiée de psychanalyse existentielle. Tous les êtres humains doivent un jour pratiquer cet exercice d’une façon autonome ou d’une façon induite par l’aide d’un humanologue clinicien.

Pourquoi la pratique psychanalytique n’a pas sa pertinence dans cet engagement individuel ? Parce qu’une psychanalyse existentielle passe par le vecteur vivant d’une autonomie fonctionnelle, pour la délivrance d’une connaissance intérieure et non recherchée symboliquement par la parole. La mise en condition d’une connaissance intérieure est induite par un comportement de micro-mouvement corporel involontaire de l’être émotionnel. Seul ce comportement relie physiologiquement la conscience individuelle à la réalité inconsciente d’une existence vitale.

Mais aujourd’hui, cette démarche, qui est un réel engagement, relève d’un choix individuel qui ne semble, à première vue, moins pertinent qu’un engagement pour différentes causes sociétales. Pourquoi est-ce ainsi ? Beaucoup de réponses, mais une seule vraiment solide, celle de la difficulté à croire à l’impact sociétal d’un engagement individuel tourné sur soi-même. En effet, la puissance du système sociétal est telle que beaucoup le considèrent comme un être anonyme, contre lequel on ne peut rien faire individuellement, car même collectivement, cela parait impossible de faire prévaloir une quelconque humanité. Le danger de dépossession de soi-même devient encore plus aiguë par l’objectif de numérisation systémique de la vie sociale. Pourtant, cela n’en est qu’au stade de mythe, qui pourrait facilement être démonté par l’engagement responsable de chacun à reconnaitre dans le bien commun, la marque particulière d’une humanité individuelle plurielle préservée.

Il faut donc d’une façon ou d’une autre pouvoir combattre ce projet Orwellien, par la seule force de l’engagement individuel à faire vivre l’humanité dont chacun est dépositaire par naissance. L’engagement humanologique et sa démarche individuellement constructive est un projet strictement humain. Celui-ci est, au-delà de la philosophie et de la science, un projet dont l’exécution ne demande que des compétences humaines, réinitialisées par la confiance que chacun peut accorder à son fonctionnement. Dans le souci d’une certaine qualification, il s’agit d’utiliser les facultés comportementales que chacun possède ou peut acquérir. Mais encore une fois loin de toutes statistiques, de toutes probabilités ou de lois, juste du comportement humain riche d’opportunités créatives.

L’attention au micro-mouvement corporel se laisse approcher par la conscience, car, à titre d’exemple, nous pouvons constater dans le management des entreprises une certaine attitude des responsables à pratiquer le micro-management. Celui-ci se caractérise par l’attitude fonctionnelle de traiter l’essentiel pour l’entreprise, sans laisser de place à la psychologie des intervenants. Ce qui logiquement est la déduction d’un comportement résultant de l’application d’une productivité théorisée, à seule fin d’organiser systématiquement la venue du management algorithmique. Si nous pouvons prêter attention à ce type de comportement, alors il nous est possible d’être conscient du micro-comportement du corps par l’attention que l’on peut y porter. L’humanologie est la production d’une connaissance ordonnée par ce micro-comportement, qui fait d’un être émotionnel un être potentiellement connaissant.

Maintenant voyons le cœur de ce processus de connaissance. Retenons le principe que la conscience générique peut être inconsciente, raison pour laquelle la conscience de la conscience est connaissance manifestée par elle-même. Chacun de nous sommes confrontés à deux consciences, l’une vient de la mesure à satisfaire la volonté de notre environnement, et ce, pour satisfaire au désir de conformité. L’autre vient de l’existence, de fait, de notre corps vivant d’une façon autonome, par sa relation à l’environnement dans le but de satisfaire à ses besoins physiologiques. À présent, voyons le « nous » comme « sujet » à même de prendre conscience de ces deux consciences. Ce qui ne règle rien pour soi-même, car il n’est pas dit que l’on se satisfasse de l’une ou de l’autre de ces consciences. Nous pouvons donc en inférer, qu’une voie de choix libre s’offre au sujet, ceci en confrontant d’une manière conjonctive, ces trois consciences.

Pour cela, nous utilisons précisément le micro-mouvement du vivant ou plus globalement le micro-comportement corporel, celui perçu au travers d’une attention intéroceptive sur la proprioception des micro-mouvements de notre corps. Bien sûr, cela demande un temps d’immobilité des comportements macroscopiques. Cette micro-mobilité corporelle délivre, par sa manifestation, un comportement de transformation d’un micro-mouvement désordonné en un micro-mouvement ordonné sous la forme d’un rythme corporel profond renvoyant à l’unité individuelle. Celui-ci correspond à l’avènement d’une connaissance conceptuelle, psychique, intérieure à soi-même. Celle-ci devient alors l’outil par lequel le sujet conscient analyse le contenu psychique de ce qui rend le sujet conscient des rapports entre les deux consciences, d’esprit d’une part et de vie corporelle d’autre part.

Cette auto-analyse est existentielle, car elle rend compte d’un approfondissement d’une conscience objective du sujet, soi-même en tant qu’individu, qui rapproche la connaissance intérieure ainsi générée, de la manifestation vivante du corps émotionnel du sujet. Ce rapprochement va jusqu’à installer une plage de conscience intégrant plus de réalité de vie, du corps existentiel. Cette nouvelle réalité donne un nouveau potentiel dialogique entre une réalité présente aux différents sens d’interprétation, d’une conscience d’esprit et d’une conscience d’un corps vivant, dans son rapport à l’environnement. Ce rapport peut être qualifié logiquement à la fois de Naturel et de Culturel. L’être en vie qui s’en dégage, c’est-à-dire l’incarnation d’un sujet individuel, obtient ainsi l’instrument de mesure qui lui permet de déplacer un curseur sur l’échelle de réalisation d’un bonheur personnel.

Cette démarche relève d’un engagement individuel, mais dont l’application, en termes de comportement, rejaillit sur le collectif, par l’utilisation d’outils réglementés, par l’intégration d’une fonction collective. Celle-ci stipule que chaque être humain va satisfaire à son intérêt propre, dans le sens ou il accepte de vouloir son bien-être matérialisé dans les comportements d’une recherche de bonheur. Ceci nous apporterait la confirmation que le bien commun résulte de la somme des bonheurs individuels, ce qui est à l’opposé d’une société de profit, sous la forme d’objets matériels qualifiés improprement de « biens » matériels. Ainsi faut-il que chacun soit conscient que le fait d’être en vie est la plus grande opportunité qu’une existence individuelle puisse procurer.

Quel peut être l’obstacle qui puisse empêcher quiconque de se diriger vers cet engagement ? L’inconscience tragique qui pousserait tout un chacun à ne pas croire en sa responsabilité existentielle. Cette inconscience tragique, peut-être vécue comme normale ou pathologique suivant l’interprétation culturelle à laquelle on se réfère. Dans les deux cas, une intervention est nécessaire pour restaurer un niveau d’engagement individuel, pour la restauration de ce qui s’avère être à l’origine de notre existence vivante. En effet, il nous est loisible de constater ici, que la compréhension de cette origine se rapproche d’une interprétation cognitive, par la conscience, d’une réalité inconsciente d’être un humain par des connaissances personnelles induites.

La chose la plus importante à savoir au sujet de cette démarche cognitive, c’est qu’elle n’exclut pas le plaisir inhérent à la satisfaction des comportements. Par contre, elle le contingente par la seule réalisation de l’acte pour soi ou pour autrui. Cette contingence montre simplement que la puissance du plaisir est liée à l’aspect qualitatif qui lui est attribué, par la cause intentionnelle de l’acte individuel. C’est donc bien au-delà de la philosophie et de la science, même si toute politique réflexive peut s’inspirer de leurs résultats, que se situe l’origine de l’engagement individuel. C’est en conséquence dans le choix individuel que nous trouvons les intentions comportementales à l’origine de leurs potentielles transformations. Cet engagement traduit une stratégie humanologique, dont l’évolution humaine d’aujourd’hui nous montre sa nécessité. Il faut pouvoir prendre conscience des moyens de restauration d’une stabilité sociale, là où se montre l’instabilité des valeurs qui sous-tendent chaque action individuelle.

Une humanologie qu’elle soit clinique ou autonome, semble être une pratique ayant pour horizon l’ouverture d’opportunités, pour qui ressent le besoin d’utilisation intelligente de sa conscience. Ce n’est qu’ainsi, que chacun d’entre-nous pourrons éviter qu’elle ne puisse disparaître dans les confins d’une digitalisation extrême de la société. Dans le cas contraire, il est fort probable qu’après l’externalisation de l’intelligence dans l’artificialité, nous soyons confrontés à l’externalisation rationnelle de notre conscience.
Sachant que seule la conscience apporte la responsabilité dans notre vie, par la liberté qu’elle confère à nos comportements. Une gouvernance algorithmique ne pourrait être que dévastatrice pour l’humanité, en la privant de toute possibilité de responsabilité existentielle.

Alors oui, le bonheur individuel est authentique, car il relève à son origine de l’authenticité des moyens conscients à sa réalisation, ce qui pour soi-même est gage de responsabilité envers soi et les autres. Mais le bonheur reste une fonction au service d’une réalisation de soi, dont la conscience devient l’instrument d’elle-même dans ses principes dédiés à la connaissance induite par les micro-comportements de la vie individuelle. Cette connaissance intérieure peut devenir ainsi le facteur initial du recouvrement d’une responsabilité individuelle, s’élevant au rang d’une évolution d’un esprit de conscience, rejoignant ainsi, par le plus grand nombre, celle d’une humanité en devenir.